dimanche 29 janvier 2017

La La Land, Damien Chazelle

(affiche française)
(affiche américaine que – perso au niveau du non-vécu et de la métempsychose – je préfère)

Il semble qu'il n'y ait rien de nouveau sous le soleil californien du côté de Hollywoodland.
Peuplé de cohortes de jeunes gens idéalistes (donc fauchés), qui finissent par être prêts à tout pour aller au bout de leurs rêves de gloire, la terre promise devient souvent le pays des illusions perdues.
Mia et Sebastian n'échappent pas à la règle du je (ce n'est pas une faute de frappe) où il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus.
Dans la cité où les anges ne sont pas légion, Mia est une serveuse en quête d'un grand rôle et Sebastian pianote en rêvant d'ouvrir son propre Blue Note. Les deux aspirants à des jours meilleurs vont se rencontrer, s'aimer et tenter de réaliser leurs rêves pour parvenir au sommet de leur art.
Ou pas.




Née sous le signe des gémeaux mais avec deux frères (nobody's perfect), j'ai passé une bonne partie de mon enfance à chantonner, faux, Les Demoiselles de Rochefort (le seul Demy que j'aimais alors) en alternance avec un mot imprononçable que j'entonnais également à toute vi-vitesse, Supercalifra-gilisticexpidélilicieux, prouesse dont, aujourd'hui encore, je ne suis pas peu fière.
En 1978, je lâchai Mary Poppins pour me trémousser sur You're the one that I want, hou, hou, hou.
Avec Grease, on était loin de l'élégance gominée de Fred Astaire ou de Gene Kelly, et les jambes gaînées de cuir noir d'Olivia Newton-Jones n'évoquaient, que de très loin, celles interminables (et assurées) de Cyd Charisse, ceci pour dire que, comme tout amoureux du genre, je connais mes classiques, merci (les ciné-clubs de Claude-Jean Philippe et de Patrick Brion).

Et Damien Chazelle también. Et plutôt bien.
Son somptueux La La Land – futur classique lui aussi (Rita n'en doute pas) – déroule l'abécédaire  en usage pour ce type d'exercice. Un gars, une fille, la non-rencontre, la rencontre, la roucoulade, le duo dansé, la séparation, la réunion, et plus si affinités.
Pour 2017, rien de vraiment révolutionnaire dans la distribution genrée des rôles (mais pourquoi Mia n'est-elle pas la musicienne qui veut ouvrir son club de jazz et Sebastian le comédien se tapant des castings pourris ?), mais l'écriture est fine à défaut d'être profonde (c'est une comédie musicale, hein ! les p'tits loups, pas un manifeste brechtien) et puis Emma Stone est si pétillante !

All that jazz

Dans cette comédie musicale hommage (mais pas que) à Vincente Minnelli, à Stanley Donen et à Jacques Demy, la bande originale de Justin Hurwitz en est le nerf de la guerre.
Si on aperçoit dans les studios de la Warner, là où travaille Mia, l'improbable façade de la boutique des Parapluies de Cherbourg, la partition jazz d'Hurwitz, elle, fait davantage résonance subtile à celle que Michel Legrand a composée pour Les Demoiselles de Rochefort.
Another Day of Sun, le thème de l'ouverture [en décor naturel par 37 degrés à l'ombre sur une bretelle d'autoroute, mon coeur en est encore tout "époustouflant"], pourrait faire écho à La chanson d'un jour d'été, celui de Mia et Sebastian à La chanson de Maxence, Planetarium à La Chanson d'Yvonne...
Mais là aussi Hurwitz s'en détache pour composer une musique originale, inédite, qui remporte l'adhésion dès la première écoute (alors que j'ai cru crever lors de la projection de Sweeney Todd, de Tim Burton). Jazz is hot.

La caméra fluide de Chazelle balaie le plateau avec souplesse et générosité, tout en courbes et déliés, fidèle à ses maîtres ci-dessus nommés. La citation s'enrichit même d'un quatrième larron nommé Woody Allen. En effet, difficile de ne pas y voir au détour d'une envolée, dans le ciel étoilé du planétarium, celle de Goldie Hawn sur les quais de Seine dans Tout le monde dit I love you, lui-même film hommage à l'âge d'or des comédies musicales hollywoodiennes par le clarinettiste new yorkais le plus célèbre du 7e art.




La La Land tout en Cinémascope et Technicolor a été tourné en 35 mm et photographié par le chef opérateur suédois Linus Sandgren (lire ici son interview technique et passionnant). La grammaire du cinéma musical est ici respectée à la lettre, avec cependant moins de studio et plus de décors naturels, d'où des difficultés en pagaille pour apprivoiser en 45 minutes la lumière d'un jour déclinant sur les hauteurs de Mulholland Drive.

Mais, un hommage aussi brillant qu'il soit ne resterait qu'une copie si l'élève ne s'émancipait pas de ses maîtres. La splendide conclusion de La La Land (rappelant un regard échangé au Café Society du même Allen) dévoile que l'élève s'est aussi affranchi d'une règle qui règne dans ce type d'entertainment, par la forme (merveille de rythme, de style et de montage) et par le fond (que sont nos idéaux devenus ?).

Alors ? Soyez insensibles aux injonctions désagréables des affiches qui ordonnent aux futurs spectateurs d'aimer le plus beau film de 2017... en ce mois de janvier finissant. Laissez-vous porter par votre humeur et vos goûts, n'écoutez que votre coeur.
Les amoureux des comédies musicales y (re)trouveront leur bonheur, le pied battant joyeusement la mesure sur la moquette rouge des salles obscures, le coeur gonflé d'espoir.
Qui sait ? la cité des étoiles brillera peut-être aussi pour vous. Rita en est sûre.
City of stars
Are you shining just for me?
City of stars
There's so much that I can't see
Who knows?
I felt it from the first embrace I shared with you...





p.s. : quitte à aller au cinéma, choisissez une salle avec grand écran et son digne de ce nom.
p.s. bis : quant à la nostalgie d'une époque révolue que certains évoquent, je ne crois pas que le jazz soit voué à disparaître (vu les emprunts qu'on retrouve, entre autres, dans le rap et le nombre de festivals qui existent), et les comédies musicales (qui font florès sur tous les théâtres du monde) non plus.
Comme l'a dit le grand Martin S., "pourquoi obliger un peintre à utiliser un iPad plutôt que des pinceaux, sous prétexte que c’est plus facile" ? L'un et l'autre sont bien, laissons-nous le choix d'utiliser l'un ou l'autre. Lire ici.



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