dimanche 21 janvier 2018

Le Jeu de l'amour et du hasard, Marivaux


Orgon a décidé que sa fille Silvia épouserait Dorante. La jeune femme propose alors de prendre les habits de sa suivante Lisette afin d'observer son futur mari, car il ne s'agit pas de s'engager auprès d'un affreux, d'un violent, d'un taciturne, une fois les ors de la fête retombés.
Le père consent d'autant plus volontiers au déguisement de sa fille car il sait que Dorante va agir de même en endossant la livrée de son valet Arlequin.
Au jeu de l'amour et du hasard, entre fausses confidences et fausse suivante, Orgon et son fils Mario, seuls initiés du stratagème des quatre jeunes gens, vont être les témoins amusés de cette danse qui peut mener de la surprise au triomphe de l'amour...

Salut final sous les hourras de la représentation du vendredi 19 janvier 2018

A l'heure des applications numériques où le jeu amoureux est soumis au hasard des algorithmes, la langue et les quiproquos de Marivaux pourraient paraître bien désuets aux oreilles de notre siècle. Que nenni ! l'amour reste la grande affaire des grands – et des moins grands – de ce monde, que l'on soit sous les séculaires frondaisons d'un jardin à balustre ou pas.
Mon coeur est fait comme celui de tout le monde ;
de quoi le vôtre s'avise-t-il de n'être fait comme celui de personne ? 
(Lisette)
D'entrée de jeu, Silvia s'effraie d'un mari qui "porte un masque avec le monde, et une grimace avec sa femme" comme le résume brillamment Lisette. Cet inquiétant fossé entre l'être et le paraître ne pouvait-il trouver meilleure résonance aujourd'hui, encore plus qu'hier ?
Le père, Orgon, est un sage, homme des lumières et donc de progrès, sa fille sera libre d'épouser ou de rejeter. Ainsi le jeu peut se poursuivre, d'autant plus que le "je" est un autre. 

Avec ces atermoiement amoureux où les rôles se sont inversés mais où les sentiments, eux, sont vrais, les quiproquos pourraient lasser mais c'est sans compter le verbe de Marivaux. Sous l'apparente badinerie mêlée de burlesque, le propos est fin et spirituel, voire psychologique.
Dans l'enchantement du marivaudage, n'excluons pas, nonobstant, la satire à peine sous-jacente d'une société de classes. Chacun se doit de garder son rang mais, après tout, certaines qualités ne seraient-elles que l'apanage des personnes dites de condition ? Et comme souvent, en pareille situation, servantes et valets de comédie, qui prêtent si souvent à rire, sont les seuls à voir clair dans le jeu.
Cette lucidité-là chez Marivaux, on aurait tort de l'oublier.
Je veux bien que vous sachiez qu'un amour de ma façon, n'est point sujet à la casse, que je n'ai pas besoin de votre friperie pour pousser ma pointe, et que vous n'avez qu'à me rendre la mienne. (Arlequin)
C'est donc, sans surprise mais avec un plaisir immense, que la domesticité théâtrale remporte la partie de ce Jeu de l'amour et du hasard dans la mise en scène énergique et musicale (hommage à la violoncelliste qui ponctue scènes et actes des Suites de Bach) de Catherine Hiegel et dans le décor printanier spectaculaire de Goury (mariage réussi d'éléments techniques et de Dame Nature).


Dans une distribution riche, entre autres, de l'excellente Clotilde Hesme, Laure Calamy et Vincent Dedienne, admirables de drôlerie, d'entrain et de finesse, emportent tout sur leur passage.
Leur jeu juste, varié, sensible, attirant les rires mais aussi toute notre attention (il faut bien le dire), gagne immédiatement l'adhésion du public.
Ce dernier vibre à l'unisson sous l'éclat de leurs réparties savoureuses, jusqu'au "ballet" final de l'Arlequin Dedienne, qui est un sommet en son genre.
Dans ce Jeu-là, Calamy et Dedienne raflent la mise. Bravo et merci !

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Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, mise en scène par Catherine Hiegel,
avec Laure Calamy (Lisette), Vincent Dedienne (Arlequin), Clotilde Hesme (Silvia), Nicolas Maury (Dorante), Alain Pralon (Orgon), Cyrille Thouvenin (Mario).
Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris, jusqu'au 4 mars 2018


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