lundi 2 février 2015

Phoenix, Christian Petzold



Dans cette Allemagne année zéro (pas si lointaine, et qu'on y pense on en frémit), Nelly, rescapée des camps de la mort, est recueillie par son amie Lene.
Nelly, dont le visage fracassé a été reconstruit, ne cherche qu'à retrouver son grand amour d'avant l'horreur, Johnny.
Dans les ruines de Berlin, Johnny ne reconnaît pas Nelly. Pour lui, sa femme est morte. Cette inconnue pourra juste lui servir à récupérer son héritage.

Ami si tu t'attends à pleurer des rivières dans un reboot hollywoodien du sequel de La liste de Schindler passe ton chemin et va manger des bretzels au café du coin, en revanche si le portrait intimiste d'une femme amoureuse, même après la plus terrible des chutes, peut te toucher, prends un fauteuil et tais-toi.



Le cinéma n'aime rien moins que les doubles, les âmes blessées et les cœurs brûlant d'un amour passionné.
D'Hitchcock (Vertigo, 1958) à Franju (Les yeux sans visage, 1960), en passant par Cukor (La femme aux deux visages, 1941), Cayatte (Le miroir à deux faces, 1958), Lynch (Lost Highway, 1997, et Mulholland Drive, 2001) et, allez !, un dernier pour la route comme Aldrich, par exemple, avec Kim-play it again-Novak (vue dans Vertigo, donc, mais aussi dans le très kitsch Démon des femmes), les plus grands, disais-je en incipit, n'ont eu de cesse de jouer avec les faux-semblants et autres miroirs, plus ou moins déformants, sacrifiant au dieu amour.

Ici, c'est Christian Petzold, qui, tel un Fassbinder en plus austère et intimiste, nous tend, à travers le personnage de Nelly et son propre double (magnifique et bouleversante Nina Hoss), un miroir sur l'Allemagne de l'immédiate après-guerre. Il ne s'agit pas du flamboyant Mariage de Maria Braun* (1979), mais cette histoire d'amour n'en est pas moins forte... et allégorique.

Sobre mélodrame où une femme jadis aimée revient sur les ruines de son passé pour retrouver l'homme qu'elle aime encore. Celui-ci (Ronald Zehrfeld, tout en nuances), vague salaud ordinaire, a-t-il trahi sa femme ? l'a-t-il un jour vraiment aimé ? l'a reconnaîtra-t-il ? lui fait-il mal ce Johnny, Johnny, qui a failli envoyer Nelly au ciel ?

Une femme qui revient de l'enfer mais qui est prête à tout pardonner, par amour, pour se faire à nouveau aimer – accepter –  jusqu'à... se taire. Et dieu (ou someone else) sait que la seule chose qu'on souhaite entendre une fois la catastrophe passée n'est, bien souvent, que le silence des survivants...

L'amour a tenu Nelly en vie, l'amour l'aidera à se reconstruire, il est ancré dans ses souvenirs. 
L'amour plus fort que la mort, même conjugué au passé, Nelly sait, au moins, qu'il a existé.
Ecoute.

Speak low, darling, speak low
Love is a spark, lost in the dark too soon, too soon
I feel wherever I go
That tomorrow is near, tomorrow is here and always too soon



(Speak Low, Kurt Weill, 1943)


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* A ce propos, le visionnage de l'excellent docu de François Lévy-Kuentz sur le film de Fassbinder, dans la collection "Un film et son époque" (Folamour prod.), est plus que fortement recommandé.
Lire ici et regarder .



3 commentaires:

  1. Je voulais aller le voir, mais vu les circonstances je vais juste attendre un peu ! Ton commentaire donne vraiment envie de se déplacer !

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  2. J'avais très envie de le voir, ton commentaire donne vraiment envie, mais je vais juste attendre un petit peu...

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