samedi 29 novembre 2014

Lettre à François (Truffaut à la cinémathèque)



Cher François,

Vous êtes entré dans ma vie par le biais d'un téléviseur noir et blanc de la marque Philips, qui trônait dans le salon sis au rez-de-chaussée d'une humble maison de fonction de la cité EDF d'une petite ville de Lorraine.
Pour une raison obscure (surtout quand on a connu mes parents), la gamine que j'étais alors se trouvait seule au domicile familial étonnamment déserté ce soir-là. Loin de faire les quatre cents coups, par paresse autant que par manque d'imagination, j'avais allumé l'écran au profil bombé, caractéristique de l'époque post Charles de Gaulle.
En l'absence de l'existence de télécommande, je triturais les boutons en plastique de la machine cathodique pour trouver le programme idéal avant de me jeter, de toute ma longueur dégingandée, sur le poil synthétique et duveteux vert olive du canapé.

L'image qui s'afficha alors était celle d'une jeune femme, grandes lunettes mangeuses de joues sur le nez, chrono dans une main, bloc-notes dans l'autre, qui passait d'un personnage à l'autre en un tourbillon proche de la vie.
Arrêt mental sur cette image, je continuais de fixer l'écran tout en marchant à reculons vers le canapé de la même couleur que votre chambre. Les cent et quelques minutes qui suivirent furent parmi les plus fondatrices de ma jeune vie.

Au générique de fin, j'essayais de lire le maximum d'informations sur ce que je venais de voir, pas d'Internet encore, ni de téléphone soi-disant intelligent à portée de main, juste le quotidien régional du jour que j'ouvris fébrilement à la page des programmes. 
Autant dire que les maigres renseignements que je tirais de l'Est républicain eurent bien du mal à étancher la soif que vous veniez de déclencher en moi en cette nuit devenue américaine.
Vous, l'homme qui aimait les femmes, vous avez littéralement séduit une gamine de 12 ans en toute légalité et de la plus belle manière qui soit.

Vous m'avez donné dans le désordre mais avec passion, le goût du cinéma, du cinéma dans le cinéma, des actrices (Bernadette, Marie, Jeanne, Françoise, Catherine, Nathalie, Jacqueline, Marie-France, Claude, Fanny...), des femmes, de la littérature, de William Irish, David Goodis, Henri-Pierre Roché, des livres en général, de la voix off (monocorde, souvent, qui en énerve plus d'un, parfois, mais que j'adore), des histoires d'amour (qui finissent mal, aussi, en général), de l'amour tout court.

Jusqu'à ce jour d'octobre 1984, où j'appris, incrédule, votre mort par le biais de la Une de Sud Ouest répétée ad nauseam sur les platanes qui bordaient la Nationale entre Bordeaux et Marmande.
Ma passion pour vous était telle que ma mère n'avait osé la veille me l'annoncer au téléphone.

Depuis, je pense toujours à vous.
En trente ans, j'ai découvert vos films que je n'avais pas encore vus, j'ai revu vos films sans me lasser jamais, j'ai aussi redécouvert à 40 ans ce que je n'avais pas compris à 20 ans, comme, par exemple, que le comble du romantisme était de s'évanouir dans un parking par passion amoureuse. Votre modernité dans les dialogues, le ton, les situations, me stupéfie encore.
J'ai souvent imaginé de quelles actrices vous seriez tombé amoureux, quels films vous auriez pu mettre en scène...
Et puis, parmi vos vingt-six films, j'en garde un que je n'ai pas vu (pas intégralement tout au moins), comme pour me dire, tiens ! il y a un nouveau Truffaut que je vais découvrir.

Enfin, sachez-le, comme le chante si délicatement Barbara :

Vous ne m'avez pas quitté
Le jour où vous êtes parti.
Vous êtes à mes côtés
Depuis que vous êtes parti
Et pas un jour ne se passe,
Pas une heure, en vérité,
Au fil du temps qui passe
Où vous n'êtes à mes côtés.
(d'après Rémusat, Barbara)

Cher François, je vous embrasse.



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Quand on aime la vie, on va au cinéma et on file voir
François Truffaut, l'exposition
jusqu'au 25 janvier 2015
à la Cinémathèque Française, rue de Bercy, et le site c'est ici.




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